Catalogue 2022 : Intelligence Artificielle – Robots – Big Data

«Je pense que le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité ». Cette prédiction angoissante n’est pas celle d’un gourou d’une secte quelconque : c’est une déclaration de Stephen Hawking lors d’un entretien accordé à la BBC, en 2014. Le célèbre physicien et cosmologiste ajoutait : « Une telle intelligence artificielle prendrait son envol toute seule et évoluerait à un rythme toujours plus rapide. Les humains, limités par leur lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés ».
Quatre ans plus tard, c’est Elon Musk, le milliardaire propriétaire de Tesla et Space X, qui déclarait que « l’intelligence artificielle est bien plus dangereuse que les armes nucléaires. La vitesse d’amélioration des IA est vraiment spectaculaire et nous devons trouver un moyen de garantir que l’avènement de la superintelligence numérique se fasse en symbiose avec l’humanité. Une solution pour protéger les humains des machines serait de créer une connexion physique entre le corps humain et l’IA, de sorte que l’IA soit une extension de l’être humain ».
Si ces visions d’un futur apocalyptique vous interpellent, alors vous serez forcément intéressés – et rassurés – en lisant les ouvrages recensés dans le douzième catalogue critique de l’ASEL, consacré à l’intelligence artificielle, aux robots et aux « big data ». Comme chaque année, nous avons sélectionné et critiqué des ouvrages de vulgarisation scientifique toujours disponibles en librairie et dans votre bibliothèque préférée, et il y en a pour tous les âges et pour tous les goûts, y compris des bandes dessinées et des romans ! L’intelligence artificielle trouve ses racines chez Alan Turing, ce mathématicien anglais considéré comme le fondateur de l’informatique. En 1950, il s’interroge : « les machines peuvent-elles penser ? ». Les « machines » sont ici ce que nous appelons aujourd’hui les ordinateurs, et Turing propose un test, baptisé depuis le test de Turing, permettant de savoir si un ordinateur est devenu aussi intelligent qu’un humain. Et il prédit qu’en 2000, ces machines existeront.
Vingt-deux ans plus tard, ce n’est toujours pas le cas, et ce n’est pas pour demain. Tout simplement parce qu’aujourd’hui, presque personne ne cherche à faire une telle machine. L’intelligence artificielle est en effet devenue une intelligence spécialisée – on parle d’intelligence artificielle faible. L’ordinateur AlphaGo, qui a battu en 2017 le champion du monde de jeu de go, est incapable de conduire une voiture ou de reconnaître un chat sur une vidéo. Tout comme votre traducteur automatique préféré. C’est quelques années après Turing, en 1956, que le virage de la spécialisation est pris, lors d’une conférence qui consacre l’expression « intelligence artificielle » et en fait une discipline à part entière. Les deux approches sont en fait fondamentalement différentes : l’une tente de « créer un esprit », tandis que l’autre cherche à « modéliser le cerveau ». Dans les deux cas, l’IA doit apprendre, et là aussi, on peut distinguer deux modèles : les IA développées à partir des connaissances, et celles développées à partir des données. L’abondance des données disponibles aujourd’hui leur donne largement l’avantage sur les connaissances. Mais suit on le bon chemin ? On peut se poser la question, quand on sait qu’une IA a besoin de voir des dizaines ou des centaines de milliers d’images de chats pour enfin savoir reconnaître un chat, alors qu’un enfant aboutit au même résultat avec quelques images. Et AlphaGo a certes battu le champion du monde du jeu de go, mais en dépensant 100 ou 1000 fois plus d’énergie que le cerveau humain !
Contrairement à l’intelligence artificielle, il n’y a guère de débat scientifique à propos de ce qu’est un robot : un dispositif mécanique, électronique et informatique conçu pour effectuer, dans un domaine précis, des tâches reproduisant des actions humaines. L’organisation internationale de normalisation distingue les robots industriels (3 millions en service en 2021 dans le monde) des robots de service. Présents chez les industriels (médecine, logistique, agriculture), on croise de plus en plus souvent ces robots de service chez les particuliers (aspirateurs, tondeuses) où il s’en est vendu près de 20 millions en
2020.
Les tâches effectuées par les robots ne nécessitent pas forcément des programmes informatiques complexes, mais les robots évoluent, et peuvent être confrontés à des environnements changeants. C’est le cas par exemple des robots d’aide à la personne, qui doivent non seulement interpréter leurs informations sensorielles, mais aussi réagir en toute autonomie. Le robot doit alors être doté d’une intelligence artificielle, on commence alors à s’approcher sérieusement des robots de Star Wars ou d’Isaac Asimov. Et justement, on ne pouvait évidemment pas oublier, dans un catalogue de livres de vulgarisation sur l’intelligence artificielle et les robots, ces auteurs de science-fiction qui, avant tout le monde, se sont interrogés sur les promesses et les dangers de l’IA et des robots.
Côté dangers, la culture populaire amalgame souvent robots et créatures « magiques » n’ayant aucun rapport avec l’informatique, comme le monstre de Frankenstein ou le Golem. C’est la science-fiction qui remet les pendules à l’heure, rappelant le caractère scientifique et technique de l’IA et des robots : les machines ne font que ce qu’on leur demande. Si ce n’est pas ce que leur concepteur avait initialement prévu, c’est que leur programmation ou leur éducation souffrent de biais algorithmiques, comme ce premier programme de reconnaissance faciale qui ne fonctionnait qu’avec des peaux claires.
Quant aux promesses, elles sont nombreuses, et la science-fiction contemporaine nous amène à réfléchir sur cette symbiose entre l’IA et l’humain chère à Elon Musk : n’est-ce pas finalement l’Homo sapiens lui-même qui est amené à devenir artificiel, quand nous ne saurons plus vivre sans nos implants neuronaux ?

Daniel Hennequin, Physicien, Directeur de recherche, CNRS
Université de Lille