Biomimétisme

 

Le biomimétisme, du grec bios (vie) et mimêsis (imitation) est une discipline scientifique qui s’inspire du vivant pour innover de façon durable. Son étymologie, qui laisse entendre qu’il s’agit de copier tout bonnement des modèles existants dans la nature est trompeuse. Le biomimétisme diffère du mimétisme qui est seulement une modification de forme et/ou de couleur pour certaines espèces de se confondre avec l’environnement ou avec les individus d’une autre espèce.

Ici, nous entendrons le biomimétisme dans un sens large, incluant la bionique, la bio-assistance et la bio-inspiration

La bionique est la science qui étudie les systèmes biologiques afin de développer des systèmes non biologiques susceptibles d’avoir des applications technologiques. Elle s’intéresse en particulier aux propriétés mécaniques du vivant et tente de les transposer dans le domaine de l’ingénierie. La bionique concerne donc la robotique, le développement de capteurs bio-inspirés, la biomécanique…

La bio-assistance consiste à utiliser des molécules d’origine biologique ou des organismes vivants entiers pour imiter des fonctions observées dans la nature, ou les détourner afin de répondre à des défis technologiques. Au sein du biomimétisme, la bio-assistance est utilisée par exemple en agro-écologie ou dans les biotechnologies (ex : utilisation d’enzymes pour catalyser des réactions dans l’industrie chimique).

La bio-inspiration est un terme plus général désignant le fait de s’inspirer du monde vivant pour créer de nouveaux objets ou procédés qui n’y sont pas présents naturellement. On parle souvent de bio-inspiration en design, en architecture et en science des matériaux.

Le biomimétisme peut s’étendre du moléculaire au macroscopique et aux écosystèmes. Il cherche ainsi à reproduire des solutions soutenables sélectionnées parmi de nombreuses autres, éprouvées par l’évolution au sein de la biosphère. Cette approche globale est prometteuse d’innovations : technologies non polluantes, matériaux recyclables, techniques économes en énergie voire passives… Le biomimétisme est une longue histoire qui rassemble naturalistes et biologistes, ingénieurs, architectes, etc.

L’approche biomimétique distingue trois niveaux : copier les formes et structures, comprendre et imiter les procédés naturels et imiter la stratégie des écosystèmes et leur équilibre.

Le biomimétisme est aussi une histoire de culture : si dans la culture occidentale, nous nous sommes éloignés de la nature et la redécouvrons aujourd’hui, certains peuples, comme les amérindiens, s’en inspirent depuis toujours.

C’est l’universitaire américain, Otto Schmitt, qui aurait forgé le néologisme  biomimetics (biomimétisme) pour décrire la notion de transfert de processus de la biologie à la technologie. Janine Benyus l’a ensuite vulgarisée, notamment dans son livre (Biomimicry : Innovation Inspired by Nature, 1997) où elle invite à considérer la nature comme « modèle, mesure et mentor », en insistant sur l’importance d’associer la soutenabilité des innovations au biomimétisme. En France, un Centre européen d’excellence en biomimétisme (Ceebios) est installé à Senlis depuis 2015.

Historique

Dès la Préhistoire, les humains, en observant le monde vivant ont probablement trouvé de nombreuses réponses à des problèmes simples voire complexes. La nature a en effet par le jeu de l’évolution et de la sélection naturelle résolu de nombreux problèmes de bio-ingénierie, tels que l’hydrophobicité (répulsion de l’eau), la résistance au vent, le stockage de l’énergie, la biosynthèse à froid et à pression ambiante, l’autoassemblage et la capture de l’énergie solaire grâce aux mécanismes produits et sélectionnés par l’évolution.

L’éole de Clément Ader 1902

L’exemple souvent cité du biomimétisme est l’étude principalement des oiseaux faite pour permettre aux humains de voler ou planer, le mythe d’Icare. S’il n’a pas créé de machine volante, Leonardo da Vinci (1452-1519) a observé l’anatomie et le vol des oiseaux, avec maintes notes et esquisses, qui ont inspiré ses machines volantes. Georges Caylit (1773-1857) père de l’aéronautique, s’est inspiré du héron. Les frères Wright, pionniers du premier aéronef plus lourd que l’air en 1903, se sont inspirés des pigeons en vol. Clément Ader (1841-1925) avec son Éole, premier avion à rester suspendu en l’air, imite point par point la voilure d’une Chauve-souris. 

En 2016, le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) note que la différence entre la simple imitation de la nature et le biomimétisme est l’exigence de soutenabilité et que « de récentes avancées technologiques, notamment l’observation à l’échelle nanométrique nous a ouvert un champ considérable d’investigations prometteuses ».

Le biomimétisme cherche à :

  • comprendre et reproduire les mécanismes sous-jacents à la biodiversité en termes de résilience écologique, robustesse, productivité, efficacité énergétique, stabilité,  auto-organisation, communication intracellulaire, intercellulaire, inter-organisme, intra-populationnelle, etc, pour innover de façon soutenable;

  • reproduire en laboratoire des comportements qui, autrement, resteraient noyés dans la complexité du réel. De telles études s’appuient notamment sur la biophysique ;

  • mieux accéder aux échelles microscopiques et nanoscopiques, pour observer et reproduire de nouvelles structures et interfaces moléculaires capables d’imiter certaines fonctions de l’organisme pour le soigner, le commander, au moyen de nanosondes/vecteurs. Il s’agit aussi, dans ce cadre, d’améliorer l’imagerie moléculaire, produire des matériaux biocompatibles, développer de nouvelles interfaces Homme-environnement, etc.

  • s’inspirer de l’organisation des écosystèmes et des interactions entre des êtres vivants, pour améliorer les technologies et leurs interfaces avec l’Homme.

Biomimétisme à échelle nanométrique.

La nature fournit une vaste gamme de structures à cette échelle qui peuvent servir de modèle pour la création de nouveaux matériaux. Par exemple, Spongilla lacustris est capable de filtrer l’eau (70 fois son poids en eau chaque minute) tout en l’oxygénant grâce à une symbiose avec des micro-algues, une autre éponge, euplectella, produit spontanément à basse température des fibres optiques siliceuses bien plus souples que celles produites par l’Homme.

Les structures ténues de la surface de certains organismes qui leur donnent leur texture ou coloration peuvent être empruntées par des écrans, carrosseries, camouflage, fenêtres ou circuits optiques… Ces couleurs structurales, comme le bleu vif du papillon Morpho, ne sont pas dues à des pigments mais à des phénomènes physiques, interaction onde-matière. Ces surfaces comprennent des crêtes, nervures, lamelles et côtes, parfois disposées sur plusieurs couches que l’on cherche à imiter pour créer des affichages à haute résolution et basse consommation.

Biomimétique et écosystèmes

Cette approche est axée non sur l’utilisation des ressources naturelles, ou la copie d’éléments naturels, mais sur ce que l’on peut apprendre du fonctionnement de la biosphère : de son évolution, de l’adaptation des espèces et des écosystèmes. L’approche est plus holistique. Elle implique une nouvelle façon de voir et suscite de nouveaux modes d’estimation de la « valeur » de la nature et des services qu’elle fournit. Elle s’appuie sur les aspects suivants :

  • utilise l’énergie solaire comme source principale ;

  • adapte la forme à la fonction ;

  • recycle tout ;

  • favorise la coopération dont la symbiose ;

  • parie sur la biodiversité ;

  • utilise les contraintes comme source de créativité.

Exemples d’utilisation et sources d’inspiration :

  • Le velcro (contraction des mots velours et crochet) est inspiré des crochets de la propagule renfermant les graines de bardane ;

  • la soie d’araignée est un polymère dont la configuration peut changer rapidement en fonction de la température et de l’hygrométrie ;

  • « l’effet lotus » a permis la fabrication de surfaces auto-nettoyantes :

  • les termitières inspirent des types d’éco-habitat avec en autre des systèmes passifs de climatisation ;

  • le bec et la tête du martin-pêcheur a permis de dessiner l’avant du Shinkansen (train à grande vitesse japonais) et de réduire bruit et d’éviter ainsi la surpression à l’entrée des tunnels ;

  • les gerris, insecte qui marche sur l’eau en exploitant la tension superficielle a amené à la fabrication de micro-robots qui marchent ;

  • A partir de l’épiderme du requin-marteau, mako, combinaison de natation Fastskir a été développée, elle est interdite en compétition car très performante.

  • moteurs moléculaires inspiré du fonctionnement de la kinésine;

  • bio-polymérisation inspirée de la polymérisation de l’actine ou de la tubuline ;

  • membranes filtrantes imitant les propriétés de transport des membranes biologiques via leurs canaux ioniques.

Conclusion

Une limite au développement tient à la séparation académique entre les sciences du vivant et l’ingénierie ainsi qu’à une difficulté à raisonner de façon systémique. Or le biomimétisme est, en soi, fondé sur la pluridisciplinarité. A ce jour, les formations d’ingénieurs ou de concepteurs incluent rarement des enseignements de biologie. Une formation à la biomimétique reposera nécessairement sur la pluridisciplinarité et le dialogue entre les cultures scientifiques.

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